La Mante religieuse : un serial killer dans la prairie !

Histoire de mante…

La mante est un insecte fascinant, je vous propose d’en savoir un peu plus par la lecture du très intéressant article de Nicolas Helitas

Qui ne connait pas la mante religieuse? Sa grande taille pour un insecte, son regard presque expressif, et surtout ses mœurs réputées sulfureuses, c’est surement un des rares insectes à être aussi connus du grand public. Mais quelle est la part de vérité dans les accusations de meurtrière impitoyable et de cannibalisme qui lui sont associées? Faisons le point sur cet animal fascinant

Une histoire de famille

Notre mante religieuse (Mantis religiosa pour les intimes ) est le seul représentant du genre Mantis en France. Il existe cependant d’autres espèces assez proches dans nos régions. Dans l’arborescence du Vivant, toutes appartiennent à la classe des insectes, ordre des Dictyoptères ( qui regroupe mantes, blattes et termites), sous-ordre des des Mantodea (mantoptères). A l’intérieur de cet ensemble, trois familles sont représentées chez nous: la famille des Mantidae ( 6 espèces sur le continent + 1 en Corse), la famille des Amorphoscelididae (à vos souhaits ! – 1 espèce ) et la famille des Empusidae ( 1 espèce). Soit au total 9 espèces, sur les quelque 2300 décrites. Ceci illustre bien que les mantes sont essentiellement tropicales, même si le bassin méditerranéen accueille déjà une diversité intéressante.

 

Notre mante religieuse est la plus grande représentante de cet ensemble en France, et la plus largement répandue. En effet, bien qu’elle ait une affinité méridionale marquée, on peut la trouver partout en France sauf dans l’extrême nord et en altitude. Bien sur, plus on va vers le nord, plus sa distribution sera morcelée et limitée à des biotopes bien exposés.

Citons ici quelques autres espèces présentes sur notre territoire:

  • Ameles decolor: cette petite mante ( environ 3 – 4 cm ) est d’une grande discrétion renforcée par sa couleur brune. On la trouve dans toute la région méditerranéenne, mais encore faut il la repérer dans la végétation desséchée. La femelle n’a pas d’ailes.
  • Empusa pennata: chez cette espèce, contrairement à ses cousines, c’est la larve qui passe l’hiver. Cette larve est suffisamment typée pour porter un nom vernaculaire qui lui est propre: le Diablotin. Celui ci lui vient de sa tête surmontée d’antennes rappelant des cornes torsadées de bouc, et un abdomen retroussé et orné d’excroissances. On la trouve dans la moitié sud de la France. L’adulte a un aspect plus conventionnel.
  • Pseudoyersinia brevipennis: je la cite pour l’anecdote. Cette espèce décrite de la presque ile de Giens en 1860 est connue de 4 individus en collection dans les musées. Elle n’a pas été revue depuis et a probablement disparu.

Où la trouver ?

Comme je l’ai déjà signalé, la mante religieuse est très largement répandue en France. Plus au sud, on peut la trouver dans tous les endroits buissonnants ou aux hautes herbes, mais également dans les jardins pour peu que ceux ci ne soient pas gérés à grands coups d’insecticides qui seraient fatals autant à la mante qu’à ses proies. Dans les régions où le thermomètre est moins généreux,nous allons la retrouver dans les biotopes les plus chauds. Ce seront essentiellement des coteaux orientés au sud, des milieux alternant buissons et zones ouvertes lui sont particulièrement favorables. Dans les Vosges et à proximité, vous pourrez l’observer le plus facilement autour de Neufchateau sur les versants taillés dans le calcaire par la Meuse et ses affluents. Elle peut être sporadique ailleurs, une observation à La Bresse nous a été rapportée en 2009, mais sans preuve formelle.

Comme tout prédateur, elle sera attirée par les zones où ses proies sont abondantes. Les talus et prairies riches en fleurs, donc en papillons, criquets etc. lui conviendront tout particulièrement. La régression de ces milieux lui est donc très préjudiciable.

Son abondance est très variable d’une années à l’autre. Les températures hivernales vont conditionner la bonne évolution des œufs pondus en fin d’été. Ceci sera d’autant plus sensible que nous sommes à la limite de son aire de répartition, donc que les conditions minimales de survie des pontes ne sont pas garanties chaque année.

Morphologie :

La mante religieuse est un insecte de belle taille pour nos contrées, puisque la femelle atteint 7 à 8 cm de long. Monsieur est un peu plus court, et surtout plus fluet, ce qui lui donne une allure de gringalet par rapport à sa belle. Sa couleur peut être verte ou brune, l’une ou l’autre lui assurant un excellent camouflage dans la végétation.

L’allure générale est élancée. L’abdomen est fin, il comporte  9 segments ( sternites ) chez le mâle, 7 chez la femelle. Le thorax est également allongé, environ 4 fois plus long que large. A l’extrémité on va trouver la tête surmontée de grandes antennes, qui est très caractéristique. De face elle a une forme triangulaire, pointe en bas. Aux deux angles supérieurs, on trouve les deux gros yeux composés et globuleux. Leur positionnement excentré et leur forme donnent un très grand angle de vision. Comme chez tous les insectes, ces yeux sont composés de milliers d’yeux élémentaires appelés ommatidies. Ces éléments ont une forme de puits der section hexagonale, au fond desquels se trouvent les cellules sensibles à la  lumière. Il n’y a donc pas de pupille et d’iris comme chez les mammifères, et pourtant sur les photos en gros plan on voit dans l’œil un point noir qui semble se déplacer et suivre l’observateur, ce qui renforce la personnalité de la mante. Ceci vient du fait que notre regard porte jusque au fond des ommatidies qui nous font face, on peut donc voir jusque aux cellules qui y captent la lumière. La lumière ne ressortant pas de ces cellules, elles apparaissent noires.

Ses yeux très grands en proportion de la tête trahissent les mœurs prédatrice de la mante; elle a besoin d’une vue performante pour repérer ses proies. La mante a en plus trois yeux simples placés entre les yeux composés, et sensibles uniquement aux variations de luminosité.

En plus de cette vue performante, la tête de la mante est capable de pivoter sur 180° pour suivre les proies qu’elle a repérées, ce qui est exceptionnel chez les insectes. Il faut rajouter à cet arsenal des soies sur ses antennes qui sont capables de détecter les vibrations de l’air provoquées par le déplacement d’un autre insecte à proximité.

Bien repliées au dessus de l’abdomen, on trouve 4 ailes à la consistance coriace à leur marge, aussi longues que le corps. Ces ailes donnent une capacité de vol correcte sans plus à la mante, surtout au mâle. Madame est plus pataude, et lorsque son abdomen commence à s’alourdir d’œufs, elle devra fuir à pied face à une menace, bien incapable de prendre son envol. Ces capacités de vol limitées n’en font pas un insecte capable de longs déplacements ou de migration.

Puisque nous en sommes à parler de déplacement, penchons nous sur les pattes de notre mante qui concentrent une bonne partie de sa spécificité. Comme tout bon insecte qui se respecte, la mante est hexapode. Sur ses 6 pattes, les médianes et les postérieures sont tout à fait classiques, fines et longues, les derniers éléments portant de petits crochets qui facilitent les déplacements dans la végétation. Les pattes antérieures, elles, sont très spécialisées. On les qualifie de pattes ravisseuses, tout un programme…

Les pattes sont composées de  4 segments. En partant de la base, on trouve le trochanter ( équivalent de la hanche), en général court et qui a plutôt un rôle d’articulation entre le corps et le reste de la patte. Chez la mante, il est particulièrement long et robuste, ce qui permet de projeter les pattes loin en avant. A l’intérieur, près de la base, on trouve une tâche de couleur noire souvent pupillée de blanc, dont nous reparlerons plus loin. Les éléments suivants sont le fémur et le tibia, avec lesquels on entre dans le vif du sujet (dans tous les sens du terme !). Je ne peux m’empêcher de reprendre ici la description que Jean Henri Fabre a faite de cet arsenal : « La cuisse ( = le fémur – NDA), plus longue encore et sorte de fuseau déprimé, porte à la face inférieure, sur la moitié d’avant, une double rangée d’épines acérées. La rangée interne en comprend une douzaine, alternativement noires et plus longues, vertes et plus courtes. Cette alternance des longueurs inégales multiplie les points d’engrenage et favorise l’efficacité de l’arme. La rangée externe est plus simple et n’a que quatre dents. Enfin trois aiguillons, les plus longs de tous, se dressent en arrière de la double série. Bref, la cuisse est une scie à deux lames parallèles, que sépare une gouttière où vient s’engager la jambe ( = le tibia – NDA) repliée.

Celle-ci, très mobile sur son articulation avec la cuisse, est également une scie double, à dents plus petites, plus nombreuses et plus serrées que celles de la cuisse. Elle se termine par un robuste croc dont la pointe rivalise d’acuité avec la meilleure aiguille, croc canaliculé en dessous, à double lame de couteau ou de serpette. »

Le dernier élément de la patte, le tarse, est fin et a un rôle sensitif.

Au repos, la mante se tient redressée, ses pattes antérieures repliées sous son thorax. Le tibia est replié contre le fémur, et ses épines viennent s’insérer entre celles du fémur. Cette attitude rappelle celle du pénitent en prière, mains jointes, ce qui a valu à la mante son épithète de religieuse. Mais point de charité chrétienne à l’horizon avec la mante, comme nous allons le voir.

Comportement de chasse – attitude spectrale

La technique de chasse préférée de la mante est l’affût. Bien qu’elle soit parfaitement capable de se déplacer rapidement dans la végétation, on la trouve le plus souvent immobile, ce qui  la rend d’autant plus difficile à localiser. Dans une prairie fleurie, cherchez en dessous des ombelles et des capitules, vous l’y trouverez surement, tapie dans l’attente d’une victime imprudente. Ses proies favorites ne sont cependant pas les butineurs, mais principalement les criquets et sauterelles qui abondent en été.

Une fois la proie repérée, la mante va se tourner insensiblement vers elle. Au besoin, elle pourra s’en approcher lentement. Une fois à bonne distance, en un éclair, elle va projeter en avant ses pattes ravisseuses. Tibia et fémur vont venir au dessus de la proie, puis vont se replier sur elle. Celle-ci se retrouve donc entre quatre rangées d’épines qui ne lui donnent aucun espoir de s’évader. Très vite la mante va commencer à dévorer sa victime, en s’attaquant à sa nuque. Elle va ainsi couper la liaison entre le ganglion céphalique (sorte de cerveau primitif), et la chaine de ganglions nerveux ventraux. La proie est ainsi rapidement immobilisée, ce qui limite les risques de fuite ou de blessure. La mante va ensuite pouvoir consommer sa proie paisiblement. Elle dispose pour ceci de puissantes mâchoires qui vont dépecer, couper, mâcher… seules les parties les plus indigestes sont rejetées (pattes, ailes, élytres).  Une fois son repas terminé, la mante va procéder au nettoyage méticuleux de son arsenal, le conservant prêt à resservir.

 

  

 

Lorsque la mante est menacée, ou à l’approche d’une proie de forte taille, la mante adopte une position dite « attitude spectrale ». Elle redresse l’avant de son corps et écarte ses pattes antérieures, découvrant les taches qui ornent l’intérieur de ses hanches, imitant une paire d’yeux. En même temps, elle entr’ouvre ses ailes, augmentant ainsi sa taille apparente. Je n’ai malheureusement jamais eu l’occasion d’assister à se comportement, même en pointant mon objectif sur la mante pour lui tirer le portrait !

Reproduction et cycle de vie

Les œufs de la mante sont contenus dans une structure appelée oothèque que la femelle va déposer à la base de la végétation ou sur une pierre à la fin de l’été. La structure de cette oothèque est d’une complexité incroyable si l’on considère que la mante la conçoit uniquement avec l’extrémité de son abdomen. Au moment de la ponte, la mante expulse ses œufs au sein d’une masse à la consistance mousseuse qui va se structurer en séchant pour former l’oothèque.  Au centre de l’oothèque, les œufs sont disposés en couches et noyés dans une gangue coriace. De chaque coté on trouve ce que Fabre appelle « la zone de sortie ». Cette zone est feuilletée, formant de fins canaux débouchant à l’extérieur. Leur extrémité est aplatie et les parois se chevauchent comme les tuiles d’un toit. Au dessus et en dessous de cette zone de sortie, l’oothèque a une consistance rappelant la mousse de polyuréthane. Cette structure riche en air assure l’isolation thermique des oeufs, l’oothèque étant exposée aux intempéries. L’ensemble mesure environ 4cm x 2 cm.

Au moment de l’éclosion, les larves vont se frayer un chemin par les canaux de la zone de sortie. Lorsqu’ils atteignent l’air libre, les larves subissent une mue, abandonnant leur dépouille qui sera vite dégradée. Il en sort une mante miniature de la taille d’un bout d’allumette, mais disposant déjà de pattes ravisseuses et d’une tête capable de suivre un mouvement dans son environnement. Une seule mante pond plusieurs centaines d’œufs, mais les jeunes mantes très vulnérables sont des proies faciles pour les prédateurs et peu d’entre elles atteindront l’âge adulte. Certaines d’entre elles ne naîtront même pas, victimes d’un parasite. En effet, un minuscule hyménoptère chalcidien (Podagrion pachymerum) pond dans les oothèques, injectant son œuf jusque dans leur cœur grâce à une longue tarière. Aucune chance donc de voir la mante religieuse pulluler et éliminer ses proies!

La petite mante va muer à plusieurs reprises, augmentant de taille à chaque fois. Les ailes atteindront leur taille définitive lors de la dernière mue, permettant de distinguer les imagos (adultes) des immatures aux ailes réduites. 

L’âge adulte signifie que la mante est apte à la reproduction. Les amours de la mante font beaucoup pour sa réputation sulfureuse. La femelle est en effet connue pour dévorer son partenaire pendant l’accouplement en commençant par la tête, celui ci continuant à accomplir son devoir conjugal malgré tout. Ce comportement a été décrit avec force détail par Fabre, qui a multiplié les expériences avec des mantes en captivité, et qui a pu observer jusque à cinq accouplement fatals pour une seule femelle. Ces quelques pages de son œuvre ont fait beaucoup pour la réputation de notre mante, lui accolant à tout jamais une image d’amante fatale. De tels cas de cannibalisme ont été constatés dans la nature, ils semblent cependant beaucoup plus rares qu’en captivité. Je n’ai pour l’instant encore jamais observé une telle scène. Ce comportement est permis par l’organisation interne des insectes, très différente de la notre. J’ai évoqué plus haut l’existence de ganglions nerveux céphaliques et de ganglions ventraux. Le système nerveux des insectes est beaucoup moins concentré au niveau de la tête que chez les vertébrés chez qui tout l’organisme est commandé par le cerveau. Chez Monsieur Mante, les centres nerveux qui commandent l’accouplement sont localisés à l’extrémité de l’abdomen, ce qui fait qu’il puisse continuer son œuvre même avec la partie antérieure du corps dévorée. Ce comportement fatal semble permettre à la femelle de faire le plein de protéines pour assurer la croissance des œufs. Ainsi repue, elle pourra assurer la ponte de ses œufs au sein de leur coffre fort, promesse d’une nouvelle génération.

Bibliographie:

Jean Henri Fabre: Souvenirs entomologiques, études sur l’instinct et les mœurs des insectes – Éd. Robert Laffont, Paris.  En ligne en texte intégral à l’adresse: http://www.e-fabre.com/biographie/souvenirs_entomologiques_1280.htm

http://www.inra.fr/opie-insectes/pdf/i133baliteau.pdf

http://fr.wikipedia.org/wiki/Mante_religieuse

http://www.insectes-net.fr/mante/mant2.htm